XXIII. PASSER À L'ACTE : LA TRANSITION
Tout cela est beau sur le papier. Mais comment passer du système actuel à celui-ci ? Comment démanteler un État obèse sans provoquer l’effondrement ?
23.1 — Le modèle Milei
Javier Milei, en Argentine, a montré que c’était possible. Il a été élu sur un programme de réduction radicale de l’État. Et il l’applique.
Les principes :
- Couper dans le vif immédiatement, pas de “progressivité” qui s’enlise
- Communication directe avec le peuple pour court-circuiter les intermédiaires hostiles
- Assumer le chaos transitoire comme prix de la liberté retrouvée
- Concurrence monétaire de facto (dollarisation)
Figure 22.1 — Phases de la transition
23.2 — Le préalable : le filet d’abord
Avant de couper, il faut avoir mis en place au moins un sous-ensemble minimum des collectivités autonomes – les structures de réinsertion auto-financées. Cela adoucit le chaos transitoire : les personnes qui perdent leur emploi public ont immédiatement un filet où atterrir. On ne les jette pas dans le vide. La transition est brutale, mais pas cruelle.
23.3 — Assumer la douleur
La transition sera douloureuse. Des emplois publics disparaîtront. Des subventions cesseront. Des habitudes seront bousculées. C’est inévitable.
Mais la douleur sera courte si on l’assume franchement. Elle sera interminable si on la repousse. Le choix n’est pas entre douleur et absence de douleur. C’est entre douleur brève et douleur chronique.
23.4 — Adoucir la transition : la cession des actifs publics
La transition reste une opération difficile. Un moyen de l’adoucir : vendre les actifs publics qui ne relèvent plus du rôle régalien de l’État. Écoles, ports, aéroports, entreprises publiques, participations de l’État, certains hôpitaux, casernes de pompiers, bâtiments administratifs — tout ce qui n’est pas strictement nécessaire aux fonctions régaliennes peut être cédé.
Ce n’est pas brader l’argenterie. C’est la conséquence logique du recentrage de l’État sur ses fonctions essentielles. Ces actifs ne sont pas “vendus pour faire de l’argent” — ils sont transférés au secteur privé parce qu’ils n’ont plus leur place dans un État régalien. L’argent récupéré sert à rembourser la dette publique et à financer le différentiel de transition des pensions (voir Appendice F).
Ne pas brader : prendre le temps. Une vente précipitée reviendrait à céder les actifs au rabais. Il faut plusieurs années pour obtenir un prix correct : évaluation rigoureuse, mise en concurrence des acquéreurs, conditions de marché favorables. Le calendrier doit être dicté par l’intérêt public, pas par l’urgence budgétaire.
Validation populaire obligatoire. Chaque cession d’actif significatif doit être validée par référendum. La transition sera une opportunité inespérée pour ceux qui voudraient en profiter indûment — copinage, corruption, favoritisme. Seul le contrôle populaire direct peut garantir que les ventes se font dans l’intérêt général et au juste prix [73].
Le mécanisme :
- L’État identifie les actifs à céder (tout ce qui n’est pas régalien)
- Chaque actif est évalué par des experts indépendants
- Un appel d’offres public est lancé, avec transparence totale
- Le choix de l’acquéreur est soumis au référendum (vote censitaire, c’est une question budgétaire)
- Si le référendum rejette, on relance avec un nouveau cahier des charges ou on attend de meilleures conditions
L’impact sur la dette. Les simulations de l’Appendice F (un simulateur complet est disponible) montrent qu’une vente d’actifs représentant environ 25% du PIB permet de faire passer la dette publique de 104% à 79% dès la première année. Pour un pays comme la Belgique, réduire la dette de 25 points en une seule opération est quasi inespéré — aucune politique d’austérité classique ne pourrait y parvenir.
L’effet sur les intérêts. Cette réduction massive de la dette a un effet immédiat : les intérêts de la dette diminuent proportionnellement. Moins de dette = moins d’intérêts à payer chaque année = plus de marge de manœuvre pour financer le différentiel de transition des pensions. C’est un cercle vertueux qui facilite considérablement toute la suite de la transition.
23.5 — La légitimité démocratique
Milei a prouvé autre chose : on peut être élu sur ce programme. L’argument “c’est politiquement impossible” ne tient plus. Les peuples, quand ils sont au pied du mur, peuvent choisir la liberté.
23.6 — Étude de cas : L’expérience Milei en Argentine (2023-présent)
Javier Milei a été élu président de l’Argentine en novembre 2023 avec 56% des voix au second tour [47][48]. Son programme : réduire radicalement la taille de l’État, dollariser l’économie, supprimer la banque centrale. Après un an de mandat, les premiers résultats permettent une évaluation préliminaire.
Ce qui a fonctionné
Réduction spectaculaire de l’inflation. L’inflation mensuelle est passée de 25% (décembre 2023) à 2-3% fin 2024 [48]. C’est le résultat le plus frappant et le plus rapide. La discipline monétaire paie.
Équilibre budgétaire atteint. Pour la première fois depuis des décennies, l’Argentine a dégagé un excédent budgétaire primaire [47]. Les dépenses ont été réduites de 30% en termes réels. La “motosierra” (tronçonneuse) a fonctionné.
Élimination de ministères. Le nombre de ministères est passé de 18 à 9. Des milliers de postes de fonctionnaires ont été supprimés. La structure étatique a été allégée [48].
Communication directe efficace. Milei contourne les médias traditionnels hostiles par les réseaux sociaux. Il explique directement au peuple ce qu’il fait et pourquoi. La légitimité populaire reste forte malgré l’austérité.
Libéralisation économique. Le “DNU” (décret d’urgence) de décembre 2023 a libéralisé des pans entiers de l’économie : loyers, commerce, travail [47]. Des réglementations accumulées depuis des décennies ont été supprimées d’un trait.
Ce qui pose problème
Récession brutale. Le PIB a chuté de 5% en 2024 [49]. Le chômage a augmenté. La pauvreté a temporairement grimpé à 53%. Le coût social est réel.
Absence de filet structuré. Contrairement à ce que préconise ce manifeste, il n’y avait pas de collectivités autonomes prêtes à absorber les licenciés du secteur public. L’ajustement a été plus douloureux qu’il n’aurait dû l’être.
Dollarisation non réalisée. La promesse phare de supprimer le peso et la banque centrale n’a pas été tenue [49]. Le “currency board” (caisse d’émission) reste un objectif, pas une réalité. La concurrence monétaire est partielle.
Dépendance au FMI. L’Argentine reste dépendante des prêts du FMI pour stabiliser sa situation. L’autonomie financière n’est pas encore acquise.
Fragilité institutionnelle. Milei gouverne par décrets, faute de majorité parlementaire. Ses réformes peuvent être annulées par un successeur. Pas de verrouillage constitutionnel.
Ce qu’on garde du modèle Milei
- La preuve qu’un programme radical peut être élu démocratiquement
- La vitesse d’exécution : couper immédiatement plutôt que progressivement
- La communication directe avec le peuple pour maintenir la légitimité
- Le résultat sur l’inflation : la discipline monétaire fonctionne
Ce qu’on améliore
- Filet préalable : notre système exige la mise en place des collectivités autonomes AVANT les coupes massives
- Verrouillage constitutionnel : les réformes sont inscrites dans une constitution protégée aux 4/5, pas dans des décrets révocables
- Concurrence monétaire plutôt que dollarisation : garder une monnaie nationale disciplinée par le marché
- Transition planifiée : notre système prévoit une séquence (filet → coupes → libéralisation), pas un big bang
Ce qu’on ne reprend pas
- L’absence de filet préalable : la brutalité sans protection est cruelle
- La gouvernance par décrets : notre système passe par une refonte constitutionnelle légitime
- La dépendance extérieure : notre système doit être auto-suffisant
- L’abandon de la monnaie nationale : nous préférons la concurrence à la dollarisation pure