XXI. LE MILLE-FEUILLE ADMINISTRATIF
Ce manifeste ne serait pas complet sans aborder un fléau qui gangrène les démocraties modernes : la multiplication des échelons administratifs et la rage réglementatrice qui les accompagne.
21.1 — Le problème des échelons
Communes, intercommunalités, départements, régions, État, Europe… Les niveaux se superposent, les compétences se chevauchent, les budgets s’entremêlent. Résultat : personne n’est vraiment responsable de rien. Chaque échelon peut se défausser sur l’autre. Les doublons prolifèrent. Les bureaucraties s’auto-alimentent.
21.2 — La rage réglementatrice
À chaque échelon, des fonctionnaires justifient leur existence en produisant des règles. Pour planter un arbre, il faut un formulaire. Pour le couper, un autre. Pour construire un abri de jardin, une autorisation. Pour le modifier, une autre autorisation. Les formulaires se chevauchent, se contredisent, exigent des pièces que d’autres administrations détiennent déjà.
Cette frénésie normative n’est pas un accident. C’est la conséquence logique d’un système où chaque administration doit prouver son utilité pour survivre. Plus elle réglemente, plus elle semble indispensable. La bureaucratie est un organisme dont la fonction première est sa propre reproduction.
21.3 — Les principes de réforme
Quelques pistes cohérentes avec le système proposé :
Le principe de subsidiarité strict. Chaque compétence est attribuée à UN seul niveau, le plus proche du citoyen possible. Pas de compétences partagées, pas de co-financements qui diluent la responsabilité. Si c’est la commune, c’est la commune seule. Si c’est la région, c’est la région seule.
La concurrence fiscale. Si chaque niveau a son budget propre (et compte dans le plafond global), les citoyens peuvent comparer l’efficacité de chaque échelon. Une région sur-administrée perd ses contribuables au profit d’une voisine plus légère. Le marché discipline aussi les territoires.
La fusion par le bas. Les communes peuvent fusionner volontairement pour atteindre une masse critique. Les intercommunalités peuvent devenir des communes à part entière. L’incitation est fiscale : les fusions qui réduisent les coûts libèrent du budget.
La suppression constitutionnelle d’échelons. On pourrait constitutionnaliser un nombre maximum d’échelons – par exemple : communes, régions, État. Trois niveaux maximum. Les départements et intercommunalités seraient absorbés ou supprimés.
21.4 — Le guillotinage réglementaire
Pour la rage réglementatrice, une règle simple : toute nouvelle réglementation doit en supprimer deux existantes (ou une de poids équivalent, mesuré en coût de conformité). C’est le principe du “one in, two out” appliqué dans certains pays.
Complété par :
Le silence vaut acceptation. Si l’administration ne répond pas dans un délai fixé (par exemple 30 jours), la demande est réputée acceptée. Cela inverse la charge : c’est l’administration qui doit se dépêcher, pas le citoyen qui doit attendre.
L’interopérabilité obligatoire. Une administration ne peut pas demander un document qu’une autre administration détient déjà. Les bases de données communiquent. Le citoyen ne sert pas de pigeon voyageur entre services.
L’audit de pertinence. Chaque réglementation a une date d’expiration (par exemple 10 ans). À l’échéance, elle doit être explicitement renouvelée par un vote, avec évaluation de son impact réel. Les règles obsolètes meurent automatiquement.
21.5 — Les limites de ce manifeste
Ce chantier reste partiellement ouvert. Les mécanismes de verrouillage budgétaire proposés ici freinent la prolifération – moins d’argent signifie moins de fonctionnaires pour produire des règles. Mais ils ne démantèlent pas automatiquement l’existant.
La transition (section XX) devra inclure un grand ménage réglementaire : un audit complet, une suppression massive des textes inutiles, une simplification radicale. C’est un chantier titanesque, mais indispensable. On ne libère pas un peuple en laissant intact le maquis de règles qui l’entrave.
21.6 — Étude de cas : Le “One-In, Two-Out” britannique et canadien
Le Royaume-Uni (2011) et le Canada (2012) ont adopté des règles exigeant la suppression de réglementations existantes pour toute nouvelle règle créée [45][46]. Ces mécanismes offrent un précédent pour le “guillotinage réglementaire”.
Ce qui a fonctionné
Ralentissement de l’inflation réglementaire. Au Royaume-Uni, le coût net des nouvelles réglementations pour les entreprises est devenu négatif sous le régime “One-In, One-Out” puis “One-In, Two-Out” [45]. La charge administrative a cessé de croître.
Culture du calcul coût-bénéfice. Chaque ministère doit désormais chiffrer le coût de conformité de ses propositions. Cette discipline a forcé une réflexion sur l’utilité réelle des règles.
Réductions mesurables au Canada. Le “Red Tape Reduction Act” canadien a permis de supprimer des milliers de formalités administratives [46]. Le temps de conformité pour les entreprises a diminué.
Transparence accrue. Les gouvernements publient des rapports annuels sur le stock réglementaire. L’évolution est mesurable et les citoyens peuvent comparer.
Signal politique fort. L’adoption de ces règles a envoyé un message clair : la surréglementation est un problème reconnu, pas une fatalité.
Ce qui pose problème
Contournements créatifs. Les ministères ont appris à reclasser les “réglementations” en “guidelines” ou “recommandations” pour échapper au comptage [45]. Le stock formel diminue, mais la pression administrative peut subsister autrement.
Qualité vs quantité. Supprimer deux petites règles pour en créer une grosse ne réduit pas nécessairement la charge. Le “poids” réglementaire est difficile à mesurer objectivement.
Pas de nettoyage de l’existant. Ces règles s’appliquent aux nouvelles réglementations, pas au stock historique. Des décennies de normes obsolètes restent en place [46].
Exemptions politiques. Les réglementations jugées “prioritaires” (santé, environnement, sécurité) sont souvent exemptées. La règle devient partielle.
Pas de verrouillage constitutionnel. Ce sont des règles administratives, pas des lois. Un nouveau gouvernement peut les abandonner.
Ce qu’on garde du modèle britannique/canadien
- Le principe du ratio : créer une règle oblige à en supprimer
- La culture du chiffrage des coûts de conformité
- La transparence sur l’évolution du stock réglementaire
- La responsabilisation des ministères producteurs de normes
Ce qu’on améliore
- Ratio plus ambitieux : “one in, two out” plutôt que “one in, one out”
- Mesure par le coût de conformité : pas seulement le nombre de règles, mais leur poids réel
- Application au stock existant : l’audit de pertinence avec date d’expiration force le nettoyage de l’existant
- Verrouillage constitutionnel : le principe du ratio est inscrit dans la constitution
- Pas d’exemptions catégorielles : toutes les réglementations comptent, même environnementales ou sanitaires
Ce qu’on ne reprend pas
- La limitation aux nouvelles règles : notre système inclut un mécanisme d’expiration automatique pour l’existant
- Les exemptions politiques : pas de passe-droit pour les sujets “prioritaires”
- La fragilité administrative : notre système est constitutionnel, pas réglementaire