XIX. DES PARTIS VRAIMENT DÉMOCRATIQUES
Un parti politique qui prétend représenter le peuple mais fonctionne en interne comme une monarchie est une escroquerie. Comment faire confiance à une organisation pour défendre la démocratie si elle ne la pratique pas elle-même ?
19.1 — Le constat : des partis verrouillés
Trop de partis fonctionnent selon un modèle centralisé. Un chef, un cercle rapproché, des militants réduits au rôle de faire-valoir. Les investitures sont décidées en haut. Les orientations sont imposées. La contradiction est punie. Le parti devient la propriété d’un homme ou d’un clan.
Ce modèle produit des élus qui ne doivent rien à leurs électeurs et tout à leur chef de parti. Ils votent comme on leur dit. Ils ne représentent personne.
19.2 — L’exigence : la démocratie interne comme condition
Pour être reconnu et pouvoir présenter des candidats aux élections, un parti doit respecter des règles de fonctionnement démocratique :
- Élection du dirigeant par l’ensemble des adhérents, au suffrage direct, à intervalles réguliers. Pas de présidence à vie, pas de reconduction automatique
- Investitures décidées par les adhérents de la circonscription concernée, pas par un comité central. Les militants locaux choisissent leur candidat
19.3 — Le vote fluide interne, strictement égalitaire
Le système de révocation permanente s’applique aussi à l’intérieur des partis. Chaque adhérent peut, à tout moment, retirer son soutien au dirigeant ou aux responsables élus du parti. Si le seuil de révocation est atteint, une nouvelle élection est déclenchée.
Mais contrairement au système national, le vote interne aux partis est strictement égalitaire : une personne, une voix. Pas de pondération censitaire.
Pourquoi ? Parce qu’un riche ne doit pas pouvoir capturer un parti en pesant plus lourd que les autres adhérents. Le parti est une association de citoyens égaux, pas une société par actions. L’argent donne du poids dans les décisions budgétaires de l’État – c’est logique, c’est l’argent des contribuables. Mais l’argent ne doit pas donner du poids dans les décisions internes d’un parti – ce serait de la corruption.
Droit de tendance : les courants internes peuvent s’organiser, s’exprimer, proposer des orientations alternatives. Le débat interne est protégé, pas réprimé.
Transparence financière : les comptes du parti sont publics, les sources de financement identifiables, les dépenses traçables.
Procédures d’exclusion encadrées : on ne peut pas exclure un adhérent sans motif grave et sans procédure contradictoire. Le désaccord politique n’est pas un motif d’exclusion.
19.4 — Le contrôle
Une autorité indépendante vérifie le respect de ces règles. Un parti qui ne s’y conforme pas perd son agrément et ne peut plus présenter de candidats sous son étiquette.
Ce n’est pas une atteinte à la liberté d’association. Personne n’empêche de créer un mouvement centralisé. Mais ce mouvement ne peut pas prétendre au statut de parti politique et aux avantages qui vont avec.
19.5 — La cohérence
On ne peut pas exiger la démocratie dans l’État et tolérer l’autocratie dans les partis. Les partis sont l’antichambre du pouvoir. S’ils sont corrompus par le culte du chef, ils corrompent la démocratie qu’ils prétendent servir.
Un système vraiment démocratique l’est à tous les niveaux : dans les institutions, dans les partis, dans les corps intermédiaires.
19.6 — Étude de cas : La Parteiengesetz allemande (1967-présent)
L’Allemagne est le pays qui réglemente le plus strictement le fonctionnement interne des partis politiques [67][68]. La Loi fondamentale (article 21) exige que l’organisation interne des partis soit conforme aux principes démocratiques, et la Parteiengesetz (loi sur les partis) de 1967 détaille ces exigences.
Ce qui a fonctionné
Démocratie interne obligatoire. Les statuts de chaque parti doivent prévoir l’élection des dirigeants par les adhérents, des congrès réguliers, et des procédures d’exclusion équitables [67]. Les partis autoritaires sont juridiquement impossibles.
Transparence financière. Les partis doivent publier des comptes détaillés, identifiant les donateurs au-dessus de 10 000 € et déclarant toutes les dépenses. Les infractions sont punies par la perte du financement public [68].
Protection des droits des adhérents. Un adhérent ne peut être exclu sans procédure contradictoire. Il peut contester son exclusion devant les tribunaux civils. Le désaccord politique ne suffit pas à justifier une exclusion.
Pluralisme garanti. Les partis ne peuvent pas interdire les courants internes. Le débat est protégé par la loi.
Stabilité du système partisan. Le système des partis allemand est l’un des plus stables d’Europe. Les grandes formations (CDU, SPD, Verts, FDP) ont des structures démocratiques fonctionnelles.
Ce qui pose problème
Application inégale. Les partis respectent la lettre de la loi mais pas toujours l’esprit. Les directions sortantes contrôlent souvent les congrès, les investitures sont négociées en coulisses [68].
Bureaucratisation. Les exigences légales créent une lourdeur administrative. Les petits partis peinent à se conformer à toutes les obligations.
Pas de révocation permanente. La loi impose des élections régulières, mais pas de mécanisme de révocation continue entre deux congrès. Un dirigeant impopulaire peut rester en place jusqu’au prochain scrutin interne.
Financement public dominant. Les grands partis dépendent du financement public (lié aux résultats électoraux). Cela crée une barrière à l’entrée pour les nouveaux mouvements.
Contrôle ex post, pas ex ante. Les tribunaux interviennent après les violations, pas avant. Un parti peut fonctionner de manière non démocratique pendant des années avant d’être sanctionné.
Ce qu’on garde du modèle allemand
- L’obligation constitutionnelle de démocratie interne
- La transparence financière avec publication des comptes et des donateurs
- La protection des droits des adhérents contre l’exclusion arbitraire
- Le contrôle par une autorité (tribunaux ou autorité indépendante)
Ce qu’on améliore
- Révocation permanente interne : notre système étend le mécanisme de révocation aux dirigeants de partis, pas seulement des élections périodiques
- Pas de financement public : les partis se financent par leurs adhérents et donateurs, pas par l’État. Pas de barrière à l’entrée pour les nouveaux mouvements
- Investitures locales obligatoires : les candidats sont choisis par les adhérents de la circonscription, pas négociés au sommet
- Contrôle préventif : l’autorité vérifie les statuts avant l’agrément, pas seulement après les violations
Ce qu’on ne reprend pas
- Le financement public des partis : source de dépendance et de barrière à l’entrée
- Les élections internes seulement périodiques : notre révocation permanente est plus exigeante
- La tolérance des arrangements de coulisses : notre système impose des investitures locales transparentes