XVI. RENDRE LA JUSTICE AU PEUPLE

La justice est régalienne. L’État a le monopole de la violence légitime, et la justice est l’instrument par lequel cette violence est encadrée. Mais les juges ne doivent être ni nommés par le pouvoir exécutif, ni cooptés par leurs pairs. Ils doivent répondre au peuple.

16.1 — Les juges et magistrats sont élus

Tous les juges – du tribunal local à la cour suprême – sont élus au suffrage direct, une personne une voix. La justice touche aux droits fondamentaux de chacun. Le pauvre et le riche ont le même intérêt à ce que les juges soient compétents et intègres. Le suffrage égalitaire s’impose.

16.2 — Les garanties d’indépendance

L’élection ne signifie pas la soumission à l’opinion. Les mandats sont longs (par exemple 10 ans) pour protéger les juges des pressions à court terme. Les juges ne peuvent pas être révoqués par le mécanisme de révocation permanente – la stabilité de la justice l’exige. Seule une procédure de destitution pour faute grave, votée par le Sénat à majorité qualifiée, peut mettre fin à un mandat avant son terme.

16.3 — La responsabilité civile des magistrats

Un juge qui commet une faute lourde – erreur judiciaire manifeste, corruption, déni de justice – peut être poursuivi civilement. La responsabilité existe, mais elle est encadrée pour éviter que les juges n’osent plus juger.


16.4 — Étude de cas : L’élection des juges aux États-Unis (1832-présent)

Les États-Unis sont le seul pays développé où les juges sont massivement élus. 39 des 50 États utilisent une forme d’élection pour au moins certains de leurs juges [60][61]. Ce système, né dans les années 1830 avec la démocratie jacksonienne, offre un précédent unique pour évaluer les avantages et risques de la justice élective.

Ce qui a fonctionné

Accountability démocratique. Les juges répondent devant les électeurs, pas devant l’exécutif qui les nommerait. Un juge perçu comme corrompu ou incompétent peut être battu aux élections suivantes [60].

Diversité accrue. Les États avec élections ont plus de juges issus de minorités et de femmes que les États avec nomination. L’élection ouvre la magistrature au-delà des réseaux traditionnels [61].

Légitimité populaire. Les juges élus peuvent se réclamer d’un mandat populaire. Leur autorité ne dépend pas du bon vouloir d’un gouverneur ou d’un président.

Transparence des positions. Les campagnes électorales obligent les candidats à clarifier leur philosophie juridique. Les électeurs savent (plus ou moins) ce qu’ils choisissent.

Système qui dure. Depuis près de 200 ans, le système fonctionne sans effondrement du judiciaire. Les États à juges élus ne sont pas moins bien gouvernés que les autres.

Ce qui pose problème

Financement des campagnes. Les élections judiciaires coûtent cher. Des études montrent une corrélation entre contributions de campagne et décisions favorables aux donateurs [62]. “Justice for sale” est une critique récurrente.

Politisation des tribunaux. Dans les 22 États à élections partisanes, les juges font campagne avec une étiquette (Démocrate/Républicain). La neutralité judiciaire est compromise par l’affiliation politique [60].

Pression populaire sur les décisions. Les juges proches d’une réélection tendent à prononcer des peines plus sévères dans les affaires criminelles médiatisées [62]. La peur de “paraître laxiste” influence les décisions.

Faible participation électorale. Les élections judiciaires attirent peu d’électeurs (souvent <20%). Les résultats reflètent les activistes mobilisés, pas l’opinion générale.

Compétence non garantie. L’élection ne filtre pas les compétences juridiques. Un candidat charismatique mais médiocre juriste peut l’emporter sur un expert discret.

Ce qu’on garde du modèle américain

  • Le principe d’élection des juges au suffrage direct
  • L’accountability : les juges répondent devant le peuple
  • La légitimité démocratique de la magistrature
  • L’ouverture de la profession au-delà des réseaux de cooptation

Ce qu’on améliore

  • Mandats très longs (10 ans) : protège contre la pression électorale à court terme — les juges américains ont souvent des mandats de 4-6 ans
  • Pas de révocation permanente pour les juges : seule la destitution pour faute grave est possible — évite la pression continue
  • Suffrage égalitaire uniquement : la justice touche aux droits fondamentaux, pas au budget. Pas de vote censitaire pour les juges
  • Pas de financement politique des campagnes : les partis ne financent pas les candidats-juges

Ce qu’on ne reprend pas

  • Les élections partisanes : pas d’étiquette politique pour les candidats-juges
  • Les campagnes électorales coûteuses : financement encadré et limité
  • Les mandats courts : notre système utilise des mandats longs pour l’indépendance
  • La révocation facile : les juges ne sont pas soumis à la révocation permanente