IX. VOTER AUTREMENT : LA DÉMOCRATIE EN TEMPS RÉEL

Le vote tous les cinq ans est une aberration. On donne un chèque en blanc, puis on regarde, impuissant, ses représentants faire le contraire de ce qu’ils ont promis. La démocratie représentative classique est un contrôle intermittent. Il faut un contrôle permanent.

9.1 — La révocation permanente

Tout élu, quel qu’il soit, peut être révoqué à tout moment. Chaque citoyen qui a voté pour un candidat peut retirer son soutien. Si le nombre de révocations dépasse un certain seuil – par exemple 55% des voix initiales – l’élu est déchu.

9.2 — La révocation des ministres

Les ministres ne sont pas élus, mais ils sont révocables par le peuple. Tout citoyen peut, dans l’isoloir de révocation, exprimer sa défiance envers un ministre. Si le seuil de révocation est atteint (calculé sur l’ensemble du corps électoral, au suffrage égalitaire – une personne, une voix), le ministre est démis.

Pourquoi le suffrage égalitaire ? Parce que la révocation d’un ministre est une protection, pas une question budgétaire. Tous les citoyens ont le même intérêt à se débarrasser d’un ministre incompétent ou corrompu. C’est cohérent avec la logique du Sénat : les droits fondamentaux et les protections relèvent du suffrage égalitaire.

Cas particulier du Premier ministre. Si le Premier ministre est révoqué, c’est le gouvernement dans son ensemble qui tombe. Une nouvelle investiture est nécessaire. C’est logique : le Premier ministre est la clé de voûte du gouvernement, sa chute entraîne l’édifice.

Les autres ministres peuvent tomber individuellement sans faire tomber le gouvernement. Le Premier ministre nomme alors un remplaçant, soumis à l’approbation du Parlement.

9.3 — Le délai proportionnel à la gravité

Pour éviter l’instabilité, la révocation n’est pas immédiate. Un délai est accordé, proportionnel au niveau d’impopularité. À 56% de révocations, l’élu a deux ou trois mois pour redresser la barre. À 75%, c’est quasi immédiat – 48 ou 72 heures, le temps de pouvoir s’expliquer. La gravité de la sanction correspond à la gravité du rejet.

Délai de révocation selon le niveau d’impopularité Délai de révocation selon le niveau d’impopularité

9.4 — Le droit de re-soutien

Chacun peut aussi annuler sa révocation. On a révoqué sous le coup de l’émotion, on se calme, on change d’avis. Le système absorbe les fluctuations passagères.

9.5 — Le droit de se représenter

Un élu révoqué peut se représenter immédiatement. C’est démocratique : si le peuple peut révoquer, il peut aussi réélire. C’est aussi une protection : si la révocation était fondée sur des fake news, la campagne permet à l’élu de rétablir la vérité et de reconquérir la confiance.

9.6 — Le vote et ses conséquences : blanc, gris, nul

Le système distingue trois types de non-choix :

Le vote blanc (cocher la case “Aucun(e)”) : un refus actif de tous les candidats. Il crée un siège vide qui vote CONTRE toutes les lois. C’est une arme de blocage.

Le vote gris (bulletin vide ou non rempli) : une non-décision. Il crée un siège vide qui s’abstient (neutre).

Le vote nul (erreur, rature) : assimilé au vote gris. On ne punit pas l’erreur.

L’abstention : n’existe pas dans le système. Pas de siège vide, pas de révocation, rien.

Aucun de ces votes ne donne de droit de révocation. Celui qui refuse de choisir renonce à défaire. Et pour les modifications constitutionnelles (majorité des 4/5), seuls les sièges pourvus comptent – le vote blanc ou gris n’y a aucun poids.

Le vote blanc/gris/nul est enregistré sur la carte de la même manière qu’un vote avec demande d’anonymat. De l’extérieur, ces catégories sont indistinguables. Personne ne peut savoir si on a voté blanc, gris, nul, ou simplement demandé à ne pas pouvoir révoquer. Le stigmate disparaît.

9.7 — La protection contre le blocage de sabotage

Un parti antidémocratique pourrait appeler au vote blanc massif pour paralyser le système. Plusieurs mécanismes l’en dissuadent :

Pas de financement public des partis. Les partis se financent par leurs adhérents et donateurs. Appeler au vote blanc = pas d’élus = pas d’argent. Le saboteur doit convaincre des gens de financer le blocage.

Le salaire des élus est proportionnel à leur score du premier tour. Par exemple, si le lien est linéaire, un élu à 30% gagne 30% du salaire de référence. En pratique, la courbe sera probablement logarithmique ou en racine carrée : 70% est un très bon score et doit se rapprocher de 100% du salaire. Cette courbe est constitutionnalisée, et son changement nécessite un référendum.

9.8 — Le statut financier des élus

Les élus n’ont aucun avantage particulier. Pas de régime de retraite spécial – ils cotisent à leur propre retraite par capitalisation, comme tout le monde. Pas de cumul de revenus. Un seul revenu, modulé par leur score, point final.

Toute modification du salaire de référence des élus (hors indexation inflation) doit passer par référendum censitaire. Les élus ne peuvent pas voter leur propre augmentation. La même règle s’applique aux membres du Conseil constitutionnel – les élus ne peuvent pas “acheter” leurs contrôleurs.

9.9 — Le cumul des mandats

Le cumul est autorisé, mais limité et encadré :

Maximum deux mandats simultanés. L’un des deux doit être local. Cette règle valorise la proximité avec l’électeur.

Pas de cumul des revenus. L’élu perçoit un seul revenu de base, celui du mandat le plus élevé, modulé par son score au premier tour.

Un bonus pour le double ancrage. Le second mandat apporte un complément qui récompense la double légitimité, tout en restant plafonné. Le calcul précis est détaillé en Appendice B.

9.10 — Les majorités : sièges pourvus vs sièges vides

Les règles de majorité dépendent du type de décision :

Pour les lois courantes (majorité simple) : les sièges vides blancs votent CONTRE, les sièges vides gris s’abstiennent. Un parlement avec beaucoup de blancs aura du mal à légiférer.

Pour les modifications constitutionnelles (majorité des 4/5 de chaque chambre) : seuls les sièges pourvus comptent. Les votes blancs et gris n’ont aucun poids. La constitution ne peut être modifiée que par ceux qui participent vraiment.

Un parlement très vide a peu de légitimité et sera sous pression pour se dissoudre. Mais le système reste fonctionnel : le budget précédent est reconduit (avec pénalité), les lois existantes s’appliquent, le pays ne s’effondre pas. C’est le choix souverain du peuple.

La matérialisation du vide. Concrètement, un espace contigu à droite ou à gauche de l’hémicycle est laissé vide pour matérialiser les votes blancs et gris. Les élus et les citoyens suivant les débats verront en permanence ce niveau de légitimité – ou son absence.

Répartition des sièges dans l’hémicycle Répartition des sièges dans l’hémicycle

9.11 — La maturité citoyenne

Au début, il y aura peut-être beaucoup de révocations. Le système sera chahuté. Puis les citoyens apprendront, comme les Suisses ont appris à utiliser leurs votations avec discernement. Le système éduque. La révocation deviendra une arme de dernier recours, utilisée avec parcimonie. C’est un pari sur l’intelligence collective à long terme.


9.12 — Étude de cas : Le recall californien (1911-présent)

La Californie dispose depuis 1911 d’un mécanisme de révocation populaire (recall) permettant aux électeurs de destituer un élu avant la fin de son mandat [37][38]. C’est le précédent américain le plus abouti pour la révocation permanente.

Ce qui a fonctionné

Arme de dissuasion efficace. La menace du recall discipline les élus. Même sans aboutir, les pétitions de révocation forcent les gouverneurs à écouter l’opinion [37]. L’existence du mécanisme change le comportement.

Révocation réussie en 2003. Le gouverneur Gray Davis a été révoqué avec 55% des voix, remplacé par Arnold Schwarzenegger [38]. Le mécanisme fonctionne quand l’impopularité est réelle.

Protection contre l’abus de pouvoir. Plusieurs maires et conseillers municipaux ont été révoqués pour corruption ou incompétence. Le système offre une soupape de sécurité locale.

Légitimité démocratique. Le recall nécessite une pétition massive (12% des électeurs de la dernière élection pour un gouverneur). Ce n’est pas un caprice minoritaire — c’est une expression populaire substantielle.

Effet pédagogique. Les Californiens connaissent le mécanisme et savent qu’ils peuvent l’utiliser. La culture civique s’enrichit de cet outil.

Ce qui pose problème

Coût prohibitif. Le recall de 2021 contre Gavin Newsom a coûté 276 millions de dollars [39]. Organiser une élection spéciale à l’échelle d’un État de 40 millions d’habitants est ruineux.

Manipulation partisane. Le recall est parfois utilisé comme arme politique plutôt que comme correction d’un abus. En 2021, la tentative contre Newsom était largement partisane — il a survécu avec 62% de soutien [39].

Seuil binaire. Le mécanisme est tout-ou-rien : on révoque ou non. Pas de gradation selon la gravité du rejet. Un élu à 51% de révocations tombe aussi brutalement qu’un élu à 80%.

Pas de droit de re-soutien. Une fois la pétition signée, on ne peut pas retirer sa signature. Pas de mécanisme d’absorption des fluctuations émotionnelles.

Remplacement chaotique. En 2003, 135 candidats se sont présentés pour remplacer Davis. Le système de remplacement était anarchique [38].

Ce qu’on garde du modèle californien

  • Le principe de révocation populaire comme droit citoyen fondamental
  • La nécessité d’un seuil substantiel pour éviter les caprices minoritaires
  • L’effet dissuasif sur le comportement des élus
  • La culture civique que le mécanisme développe

Ce qu’on améliore

  • Révocation permanente et gratuite : pas besoin d’élection spéciale. La révocation est continue, enregistrée numériquement. Coût quasi nul
  • Délai proportionnel à la gravité : à 56%, on a des mois. À 75%, des jours. Pas de seuil binaire
  • Droit de re-soutien : on peut annuler sa révocation si on change d’avis
  • Droit de se représenter : l’élu révoqué peut se représenter immédiatement
  • Révocation liée au vote actif : seuls ceux qui ont voté pour un candidat (n’importe lequel) peuvent révoquer. Voter blanc, gris, s’abstenir ou renoncer explicitement = pas de droit de révocation (sauf pour les ministres, au suffrage égalitaire)

Ce qu’on ne reprend pas

  • L’élection spéciale coûteuse : notre système est continu, pas ponctuel
  • Le seuil binaire : la réponse est graduée selon le niveau de rejet
  • L’impossibilité de retirer sa signature : le re-soutien est un droit
  • Le remplacement chaotique : le processus successoral est clarifié d’avance