III. UN ÉTAT MINIMAL POUR UNE SOCIÉTÉ PLURIELLE : SÉPARER LA SOLIDARITÉ DE LA CONTRAINTE

3.1 — Introduction : sortir de la solidarité imposée

L’État-providence moderne repose sur une idée implicite mais absolue :

La solidarité doit être décidée par l’État et imposée uniformément à tous.

Même lorsqu’il est démocratique, ce modèle produit un système centralisé, uniforme et obligatoire, dont nul ne peut sortir. Cela entraîne des tensions croissantes :

  • des citoyens qui refusent d’adhérer au système et ne souhaitent plus contracter avec l’État,
  • des individus qui voudraient davantage de solidarité mais sous une forme différente,
  • des groupes qui souhaitent organiser leur propre protection sociale sans l’imposer aux autres,
  • une conflictualité permanente entre visions “de droite” et “de gauche”.

D’où la question fondatrice :

La solidarité doit-elle être un monopole de l’État ?

Le modèle présenté dans ce manifeste répond clairement : non.


3.2 — Le principe fondateur : dissocier l’État de la solidarité

L’idée centrale est simple :

L’État protège les droits ; la société organise la solidarité.

Ce principe permet de distinguer deux fonctions que l’on confond souvent :

  1. Le rôle régalien de l’État :

    • garantir les libertés,
    • arbitrer les contrats,
    • assurer la sécurité,
    • maintenir le cadre juridique commun.
  2. La solidarité, qui n’a pas à être imposée par ce même État.

L’État minimal ne supprime pas la solidarité : il cesse de l’imposer, pour laisser les individus et les groupes l’organiser eux-mêmes, librement et contractuellement.

L’État devient un garant neutre, non plus un organisateur central de la vie sociale.


3.3 — L’État minimal n’est pas un “non-État” : il permet tous les modèles

L’État minimal conserve des fonctions essentielles :

  • droits fondamentaux,
  • justice,
  • sécurité,
  • contrats,
  • souveraineté monétaire,
  • infrastructures minimales.

Ce qu’il ne fait plus :

  • imposer un modèle de redistribution,
  • définir une vision de la “bonne solidarité”,
  • étouffer les alternatives communautaires ou volontaires,
  • enfermer tout le monde dans un système uniforme.

Ainsi, un même pays peut accueillir :

  • des individus indépendants et autonomes,
  • des villages mutualistes,
  • des kibboutzim modernes,
  • des coopératives égalitaires,
  • des communautés religieuses ou philosophiques,
  • des structures libérales ou entrepreneuriales,
  • des fédérations de villages,
  • des associations de collectivités.

L’État ne choisit pas la meilleure forme de société. Il garantit la possibilité de toutes ces formes.

Un État minimal permet une société maximale.


3.4 — La solidarité volontaire : contractuelle, diverse, réversible

Dans ce modèle, la solidarité redevient :

  • volontaire — on y adhère par choix,
  • contractuelle — les règles sont explicites et acceptées,
  • pluraliste — plusieurs modèles coexistent,
  • réversible — on peut en sortir,
  • adaptée aux valeurs des membres — chaque groupe définit sa vision.

Cela autorise :

Des communautés plus “à gauche” que l’État lui-même — kibboutzim, coopératives intégrales, villages mutualistes où tout est partagé.

Des modes de vie plus “à droite” — individualistes, basés sur la propriété privée, avec une mutualisation minimale.

Et toutes les nuances entre les deux — chaque collectivité définit librement son niveau de redistribution, sa protection sociale interne, ses règles de vie, son organisation économique.

L’État n’impose plus un modèle universel : il garantit la liberté de les expérimenter.


3.5 — Le droit de sortie : clé de voûte du pluralisme

Le principe essentiel de ce système est :

Nul ne peut être retenu dans une collectivité contre sa volonté.

Lorsqu’une personne quitte une communauté :

  • elle conserve ses biens personnels,
  • elle garde le fruit de son travail,
  • elle n’est pas pénalisée pour son départ,
  • elle peut rejoindre une autre collectivité ou vivre seule.

Lorsqu’un village quitte une fédération :

  • il peut conserver ses infrastructures propres,
  • il doit négocier sur les biens communs (ex. la terre),
  • un tribunal indépendant arbitre en cas de désaccord.

Ce mécanisme garantit :

  • la liberté individuelle,
  • la protection des biens,
  • la limitation des abus collectifs,
  • la compatibilité entre solidarité et liberté.

Sans droit de sortie, la solidarité devient servitude. Avec lui, elle reste un choix.


3.6 — Juridiction fractale : collectivités, fédérations, méta-collectivités

Le modèle propose une architecture polycentrique et fractale :

  • une collectivité peut contenir d’autres collectivités,
  • plusieurs villages peuvent former une fédération,
  • plusieurs fédérations peuvent former une union,
  • ces unions peuvent coopérer ou se scinder librement.

Chaque entité possède :

  • sa personnalité juridique,
  • son contrat d’adhésion,
  • son droit de sortie,
  • son autonomie interne.

Rien n’empêche :

  • une collectivité d’en englober une autre (avec son consentement),
  • une association de collectivités d’être elle-même une collectivité,
  • une fédération d’évoluer ou de se diviser.

Ce n’est plus un État pyramidal : c’est une société organique, flexible et auto-organisée. La subsidiarité n’est plus un principe abstrait — elle devient la structure même du système.


3.7 — Les kibboutzim comme exemple extrême rendu compatible avec un cadre libéral

Historiquement, les kibboutzim israéliens ont démontré que :

  • la solidarité volontaire peut être très forte,
  • les communautés collectivistes peuvent prospérer,
  • l’entraide peut remplacer une grande partie des institutions publiques.

Mais ils vivaient dans un État qui imposait par ailleurs son propre modèle de solidarité.

Le modèle présenté ici offre un cadre inédit :

Des communautés collectivistes peuvent exister sans dépendre de l’État et sans l’imposer aux autres.

Elles deviennent :

  • contractuelles (on y entre volontairement),
  • autonomes (elles définissent leurs propres règles),
  • évolutives (elles peuvent changer),
  • compatibles avec un environnement libéral.

Ainsi, une communauté peut être profondément collectiviste, alors que le pays dans lequel elle se trouve ne l’est pas du tout.

C’est cet espace de liberté qui rend le modèle cohérent : chacun vit selon ses convictions sans les imposer aux autres.


3.8 — Au-delà du clivage gauche-droite

Ce modèle ne choisit pas entre la droite et la gauche : il déplace la question.

  • La droite ne peut plus imposer son modèle économique au niveau national.
  • La gauche ne peut plus imposer son modèle social à tout le pays.
  • Les deux peuvent exister, mais localement et volontairement.

La politique cesse d’être une guerre pour le contrôle de l’État, et devient une liberté de choisir son mode de vie.

Les désaccords ne s’imposent plus par la force de la loi nationale : ils se déploient dans des projets concrets, expérimentés par ceux qui les désirent, observés par ceux qui hésitent.

La démocratie nationale arbitre les règles du jeu commun (droits fondamentaux, justice, sécurité). Elle n’arbitre plus le contenu de la vie sociale.


3.9 — Une société plus stable parce que plus diverse

Un système pluraliste réduit naturellement :

  • la polarisation (plus besoin de convaincre 51% du pays),
  • la frustration (chacun peut vivre selon ses valeurs),
  • la conflictualité sociale (moins d’enjeu dans les élections nationales),
  • la dépendance à un modèle unique (si un modèle échoue, d’autres survivent),
  • l’obligation de “convaincre tout le pays” avant d’agir.

Les communautés :

  • innovent (elles testent des solutions nouvelles),
  • coopèrent (elles échangent bonnes pratiques et ressources),
  • se concurrencent positivement (les meilleures attirent des membres),
  • apprennent les unes des autres (l’échec d’une est la leçon de toutes).

La diversité des structures locales produit une résilience systémique supérieure à celle d’un État-providence centralisé. Un choc qui détruirait un système uniforme ne détruit que quelques modèles dans un système pluriel.


3.10 — Conclusion : la liberté de choisir sa société

Le modèle proposé peut se résumer ainsi :

L’État protège. Les communautés choisissent. Les individus décident.

En séparant la solidarité de la contrainte étatique, ce système permet enfin aux citoyens :

  • de vivre selon leurs valeurs,
  • d’expérimenter des formes sociales variées,
  • de participer à des communautés qui leur ressemblent,
  • ou de vivre sans collectivité,
  • sans jamais imposer leur choix aux autres.

C’est la philosophie centrale de ce manifeste : une société véritablement libre est une société qui permet plusieurs manières d’être libre.

Le chapitre suivant détaille ce que l’État fait — et surtout ce qu’il ne fait pas.