IV. L'ÉTAT : CE QU'IL DOIT FAIRE, ET RIEN D'AUTRE

Commençons par le commencement : à quoi sert l’État ?

4.1 — Le régalien – le cœur du réacteur

La justice. La police. L’armée. La diplomatie. Ces fonctions impliquent l’usage légitime de la force. Privatisez-les, et vous obtenez des milices concurrentes, des justices à la carte, des allégeances éclatées. L’État détient le monopole de la violence légitime. C’est sa raison d’être première, son ADN.

4.2 — Les urgences – gestion privée, contrôle public

Les pompiers et le SAMU se situent à la frontière du régalien. Ils protègent la vie, mais leur gestion n’exige pas un monopole étatique.

Comment ça marche ? Les pompiers sont délégués à des sociétés privées, choisies par appel d’offres au niveau communal ou intercommunal. Les communes peuvent se regrouper pour muscler leur pouvoir de négociation – économies d’échelle, concurrence exacerbée. Les contrats sont à durée limitée, avec cahier des charges strict : temps d’intervention maximal, équipements obligatoires, formation du personnel. Le SAMU fonctionne pareil, mais à une échelle plus large – départementale ou régionale – parce que les hélicoptères et les unités de réanimation mobile exigent une masse critique.

Le principe : le privé gère, le public contrôle, la concurrence discipline. Si un prestataire faillit, il perd le contrat. Le marché sanctionne l’incompétence plus vite que la bureaucratie.

4.3 — La recherche fondamentale – parier sur le siècle prochain

Physique. Astronomie. Chimie. Fusion nucléaire. Ces domaines ont un point commun : leur retour sur investissement se compte en décennies, parfois en siècles. Quel investisseur privé financerait aujourd’hui une recherche dont les bénéfices arriveront dans cent ans ? Aucun. Et pourtant, toute la civilisation en bénéficie. Internet, le GPS, l’énergie nucléaire, les semi-conducteurs – tout cela vient de recherches fondamentales que le marché n’aurait jamais financées.

Exemples concrets : étude des trous noirs, ondes gravitationnelles, unification des quatre forces fondamentales, réacteurs à fusion nucléaire (ITER), grands synchrotrons (CERN), recherche mathématique pure, recherche fondamentale en biologie.

Le critère est limpide : si le retour sur investissement dépasse l’horizon temporel du privé, et si le bénéfice est collectif, alors le financement public se justifie.

Mais toujours par appels d’offres. Labos, universités, consortiums en concurrence. Pas de rente : chaque projet doit être défendu, évalué, renouvelé. L’évaluation par les pairs (comités scientifiques indépendants) prime sur les considérations de prix.

L’obligation de retombées locales. Tout financement public de recherche – y compris via des consortiums internationaux – doit générer des retombées locales : emplois, compétences, brevets, infrastructures. Pas de chèque en blanc à l’international. Cette obligation est constitutionnalisée.

Les consortiums internationaux (CERN, ITER, ESA…) sont une mise en commun des ressources, pas un financement de l’étranger. Chaque pays finance sa part et reçoit sa part de retombées. Si un consortium ne respecte pas cette règle : on renégocie, on cherche un accord à l’amiable, on poursuit en justice si nécessaire, et on sort – mais seulement après avoir récupéré notre dû.

Si aucune offre acceptable n’est reçue, plusieurs raisons possibles :

  • Le pays n’a pas la compétence : on laisse tomber, ou on redéfinit l’appel d’offres pour créer la compétence locale (formation, transfert, montée en puissance).
  • C’est déjà pris par le privé : le marché finance déjà ce domaine, l’appel d’offres public n’a pas lieu d’être. Bonne nouvelle.
  • Ce n’est pas intéressant : les scientifiques eux-mêmes ne veulent pas s’y investir. Signal : mauvaise idée, on passe à autre chose.

L’argent public finance la compétence nationale, pas la dépendance à l’étranger.

L’investissement stratégique. Au-delà de la recherche fondamentale, l’État peut investir dans des industries à développer : semi-conducteurs, batteries, biotech, IA, espace, etc. C’est un pari industriel. Mêmes règles : appels d’offres, retombées locales, enveloppe budgétaire.

Le prestige comme investissement. Le prestige national est un retour sur investissement légitime, tant qu’il reste raisonnable :

  • Attire les talents (chercheurs, étudiants, entrepreneurs)
  • Renforce l’image du pays (soft power)
  • Crée de la fierté nationale

L’effet d’entraînement. Même la recherche “inapplicable” tire vers le haut un domaine entier. Qui peut le plus peut le moins :

  • Un programme spatial fait progresser toute l’ingénierie
  • La physique des particules stimule l’instrumentation, l’informatique, les matériaux
  • Les mathématiques pures finissent toujours par trouver des applications (cryptographie, IA, finance…)
  • Former des équipes sur le très difficile les rend excellentes sur le reste

On ne sait jamais ce qui sera utile dans 50 ans. Les ondes radio étaient une curiosité de laboratoire avant Marconi. La mécanique quantique semblait purement théorique avant les transistors. Financer le “inutile” d’aujourd’hui, c’est préparer l’utile de demain.

Le garde-fou : l’enveloppe budgétaire constitutionnelle limite les excès. On ne peut pas tout financer. Il faut prioriser. Mais le prestige et l’effet d’entraînement sont des critères légitimes dans cette priorisation.

4.4 — Les appels d’offres : pas seulement le prix

Ce principe s’applique à tous les appels d’offres publics, pas seulement la recherche.

Si le prix est le seul critère, on obtient le moins-disant, pas le mieux-disant. Résultat : médiocrité, corners coupés, échecs. C’est la “médiocrification”.

Critères multiples obligatoires (constitutionnalisé) :

  • Prix : 30-40% maximum
  • Qualité technique : 30-40%
  • Track record (résultats passés) : 15-20%
  • Délais / faisabilité : 10-15%

La pondération exacte peut varier selon le type d’appel d’offres (recherche, construction, services), mais le prix ne peut jamais être le critère unique ou majoritaire.

Pour la recherche fondamentale spécifiquement : évaluation par les pairs, track record des équipes, originalité et potentiel de découverte. Le prix est secondaire – on finance la meilleure science, pas la moins chère.

4.5 — La transparence totale des marchés publics

Tous les appels d’offres sont publiés. Pas d’exception. Cahier des charges, critères d’évaluation, pondération – tout est public dès le lancement.

Toutes les offres sont publiées ensemble après le délai de dépôt. Une fois la date limite passée, l’ensemble des offres reçues est rendu public simultanément. Chaque citoyen peut voir qui a proposé quoi, à quel prix, avec quelles conditions. La lumière tue la fraude.

Les délibérations du jury sont publiques. Comment chaque offre a été notée sur chaque critère, pourquoi tel candidat a été retenu ou écarté – tout est documenté et accessible.

Le contrat final est public. Y compris les avenants ultérieurs. Un contrat qui gonfle après signature, ça se voit.

4.6 — Le référendum pour les gros marchés

Au-delà d’un certain seuil – par exemple 5% du budget annuel de l’autorité concernée – le marché doit être approuvé par référendum. Le peuple décide s’il veut engager une part significative de son argent dans ce projet.

Le mécanisme :

  • L’autorité publie l’appel d’offres, reçoit les offres, les évalue, sélectionne un lauréat
  • Le choix est soumis au référendum avec le dossier complet : projet, offre retenue, justification du choix, alternatives écartées
  • Le référendum se tient au vote censitaire (c’est une question budgétaire – ceux qui paient décident)
  • Si le référendum rejette, l’autorité peut relancer un nouvel appel d’offres avec un cahier des charges modifié, ou abandonner le projet

Le seuil est relatif à l’autorité. Pour une commune, 5% du budget peut représenter quelques millions. Pour l’État, ce serait des milliards. Le contrôle populaire s’exerce à chaque niveau, proportionnellement aux enjeux.

Le contrôle populaire évite les fraudes. Quand tout le monde regarde, les arrangements entre amis deviennent risqués. Les surfacturations se voient. Les cahiers des charges taillés sur mesure pour un candidat favori sont détectés. La transparence + le référendum = une double assurance contre la corruption.

4.7 — Les cas extrêmes – ne laisser personne sur le bord de la route

Le marché de l’assurance fonctionne sur la mutualisation des risques. Mais certains cas sont si coûteux qu’aucun assureur privé ne les prendra volontairement. Les maladies chroniques lourdes. Les handicaps profonds. L’éducation spécialisée. Sans intervention, ces personnes sont abandonnées.

Attention : cela ne signifie pas que l’État doive gérer ces cas directement. Tout financement public non régalien doit d’abord faire l’objet d’un appel d’offres au privé. L’État ne finance que le complément si nécessaire, ou rééchelonne le projet. Le privé gère, l’État complète. Personne n’est abandonné, mais l’État ne gère rien directement.

Une autorité anti-cartel indépendante veille à ce que ces appels d’offres restent concurrentiels. Elle dispose de pouvoirs d’enquête et de sanction. Tous les contrats sont publics.

4.8 — Et rien d’autre

Tout le reste – éducation standard, santé courante, retraites, chômage, transports, énergie, logement – peut et doit être géré par le secteur privé, avec si nécessaire une obligation d’assurance. L’État n’a pas à produire ces services. Il doit simplement s’assurer que personne ne tombe dans le vide.

4.9 — Pas de financement indirect non plus

L’État ne finance pas les ONG, les associations, la culture, le sport ou tout autre secteur non régalien. Ni directement par subvention, ni indirectement par réduction d’impôt. Les niches fiscales sont des dépenses déguisées – elles contournent le plafond budgétaire et échappent au contrôle démocratique.

Si des citoyens veulent soutenir une cause, ils le font avec leur argent, pas avec celui du contribuable. La générosité privée remplace la redistribution étatique. C’est plus efficace – chacun choisit ce qu’il finance – et plus honnête – pas de clientélisme.